Le projet USINE : Usages de la Sculpture et Industrialisation : Nouveaux Enjeux vise à étudier les conséquences des révolutions industrielles sur les techniques et les pratiques de la sculpture, depuis la fin du 18e siècle. Méthodologiquement, USINE vise à mettre en place une méthode d’investigation innovante basée sur le relevé numérique 3D des œuvres d’art par photogrammétrie et l’utilisation d’une plateforme d’annotation et d’interprétation des marqueurs technologiques.
Dès les années 1850-1860, à la suite des révolutions industrielles, la sculpture connaît une mutation profonde, tant dans ses procédés que dans ses pratiques. Les ateliers de praticiens se spécialisent ; les fonderies deviennent de véritables industries où la mécanisation et la division du travail sont appliquées ; les ateliers se diversifient et accueillent les ouvriers spécialisés ; ils s’ouvrent également aux femmes qui, ne pouvant s’inscrire à l’Académie, cherchent des lieux de formation ; certaines d’entre elles, comme Camille Claudel, modifieront durablement les codes d’expression, d’autres, comme Hélène Bertaux, les institutions.
Les pratiques historiques de la sculpture s’en trouvent profondément modifiées. La statuaire publique fournit, dès le milieu du siècle, d’importants contrats que les sculpteurs cherchent à capter. L’industrialisation des fonderies, notamment, permet de générer de grands projets qui revivifient le marché tout autant qu’ils monopolisent les artistes. D’un autre côté, à partir de 1860, l’essor de la « petite statuaire », entraine une diffusion de la sculpture par des réductions ou éditions, dans une gamme de matériaux, biscuits, grès, plâtres peints, galvanoplasties, qui popularisent l’image sculptée et diversifient avantageusement le marché de la sculpture en l’introduisant dans la sphère de la classe moyenne. Pour conséquence, le métier de sculpteur se transforme. L’artiste doit organiser le travail des praticiens qui assurent les tâches techniques, entre autres, le moulage. La fonte des bronzes est déléguée aux fonderies industrielles. La taille des marbres, elle aussi, est confiée aux praticiens, qui reproduisent les modèles avec la technique de la mise-aux-points. Les artistes eux, se concentrent sur le modelage, mais plusieurs témoignages laissent entendre que l’inventio était parfois, elle aussi, déléguée. À côté de cela, l’industrialisation du métier nourrit le fantasme de l’invention d’une « machine à sculpter ». Les pantographes permettent de réduire ou d’agrandir les oeuvres sans que la main du sculpteur ne soit nécessaire, les mises-aux-points permettent de reproduire authentiquement les modèles originaux avec une précision redoutable.
Ces profondes mutations ont laissé leur empreinte dans la matière. À travers les traces d’outils, de doigts, de mains, ou des « nouvelles machines », la sculpture porte, sous les formes figurées, le palimpseste d’un discours technique que l’archéologue cherche à documenter et à étudier. Bien interprétées, ces traces techniques documentent les évolutions des pratiques de la sculpture à l’ère industrielle, en même temps qu’elles offrent aux scientifiques des clés objectives à l’identification, l’authentification, et l’interprétation.
L’objectif du projet vise à l’étude technologique, tout au long de la chaine opératoire, des mutations des pratiques de la sculpture à l’époque industrielle (1780-1914), à travers trois lignes directrices : 1. L’évolution du métier de sculpteur 2. L’industrialisation des procédés de la sculpture, ce compris sa mécanisation 3. Les mutations des pratiques d’atelier, ce compris la question du genre.